“ Le regard des autres“ Pièce Chorégraphique


Par la Compagnie Jérôme et Valérie Merle

Pièce chorégraphique pour 9 danseurs d’après le film réalisé par Christophe Leclaire et interprété par la compagnie.


En Avril 2008, nous avons tourné dans le décor naturel de l’Aveyron, le film “Le regard des autres“. En sortant la danse des normes du théâtre, nous cherchions comment accentuer la poésie des corps dont le mouvement s’empare. Ce rapport poétique au monde qui nous entoure, nous l’avons trouvé insuffisant en regard de l’envolée spirituelle qu’il nous inspire. Nous l’avons alors accompagné de quelques mots de l’écrivain Christian Bobin.

Le regard des autres, c’est la condition même de nos vies. En assumer la portée, en fuir la réalité, en découvrir la force, de toutes façons, il revient comme un obstacle, il fait son oeuvre.

Si un regard aimant nous permet de nous construire avec la confiance pour base, le pouvoir que l’on donne au regard de l’autre peut nous asservir.

Au cœur de cette contradiction, le film parle de la différence entre ce que nous sommes intérieurement et ce que nous montrons à l'extérieur; il choisit pour cela le langage du silence, celui du corps.

La pièce qui a suivi restitue les fondements des danses, mais elle les emporte; elle développe les scènes dévoilées par un regard caméra, en retire le cadrage et en offre ainsi d’autres points de vue, d’autres rythmes. L’humanité qui s’était fait nôtre à l’intérieur de notre concentration à donner le meilleur de nous même, apparaissait dans les rushs et nous l’avons utilisé comme une nouvelle matière à exploiter.

“Je suis suspendu au regard de l’autre comme un trapéziste sans filet, parce que j’ai peur de tomber aux mains de moi-même. Comme un volcan qui dort, je sommeille en moi. Je, cet autre sur qui je n’ai pas misé, envers qui je n’ai pas d’égards. Je me range, je m’arrange et bien loin de ce qui me ronge et de ce que j’éprouve, je pense à ce que tu vas penser de moi. Pour cela qu’est-ce que je cache ? qu’est-ce que je tais ? qu’est-ce que je tue? Combien d’aménagements me faut-il faire et de compromis et de compensations, pour ne pas te déplaire ? Ce que l’autre pense, je pense ; ce que l’autre veut, je veux ; ce que l’autre décide que je ne suis pas, je ne suis pas.

Cet autre à qui je donne le pouvoir de me faire exister et dont je suis l’objet.

L’homme a plus d’ailes qu’il n’a de racines car il voudrait être un ange, mais il bâtit ses rêves sur la rumeur et sa voix se confond. Il appelle ça l’harmonie. Il refuse d’incarner ce corps et d’en accepter les contraintes. Pourtant, ce corps intrépide fait remonter à la surface l’intimité sublime, renvoyant au temps d’avant la répression. Là, l’ombre aussi a de l’avenir, le désir s’y réfugie, l’émotion règne .

Nous sommes toujours les témoins de notre silence.“

À l’abri des regards, sans un mot, le danseur cesse de se taire. Sa danse trahit l’émotion qui le provoque de l’intérieur, mais ce qu’il ressent n’a pas grand-chose à voir avec ce que les autres attendent de lui et comme il cherche leur reconnaissance, sous leur regard, il se tait ou sombre entre paraître, séduire et mentir. L’envers de ce décor d’envergure passagère a des accents de vérités, des accents que la danse a façonnés en laissant surgir comme des mirages, des personnages sans bouclier.